Quand l’indéfini négatif pouvait s’employer au pluriel. L’emploi de aucuns au XIXe siècle
(2014) Actes du 4e Congrès Mondial de Linguistique Française (Vol. 8, p.193-207)
L’étude porte sur l’existence paradoxale d’indéfinis négatifs au pluriel dans la langue du XIXe siècle. La situation du XIXe siècle atteste en effet d’un état de langue intermédiaire entre deux systèmes stables : celui de l’ancien français où aucun est un indéfini positif qui peut s’employer au singulier comme au pluriel, et celle du français contemporain où aucun est un indéfini négatif qui ne s’emploie plus qu’au singulier, tandis que le sens positif se survit seulement dans la forme de pronom pluriel d’aucuns. Au XIXe siècle, aucun est donc devenu globalement négatif tout en acceptant encore des emplois du pluriel. Si l’explication diachronique motive ce paradoxe, encore faut-il comprendre comment s’interprètent et se justifient ces pluriels pour des indéfinis de sens négatif, dans la synchronie du XIXe siècle. À travers cette étude de cas nous nous interrogeons sur la cohérence synchronique d’un système instable, au croisement de plusieurs évolutions diachroniques. Dans cette optique, nous tentons de comprendre comment se justifie le pluriel des indéfinis négatifs, et comment ces indéfinis pluriels, dont on conçoit mieux la justification a priori pour un sens positif, peuvent développer dans le même état de langue un sens positif et un sens négatif. Nous montrons ainsi que l’emploi du pluriel dans un grammème négatif ne se limite pas au phénomène de l’accord, même s’il tend à s’y cantonner progressivement, et que la coexistence d’un sens négatif et d’un sens positif pour le même grammème n’est pas source d’ambiguïté en synchronie : l’emploi vivant, négatif, vient concurrencer l’emploi positif, résiduel, uniquement dans les contextes à polarité positive et l’interprétation négative y est construite pragmatiquement.